Jean-Baptiste Caron

FR

Jardin d’hiver, la nouvelle exposition de Jean-Baptiste Caron à la galerie 22,48 m², résonne comme un moment de latence et de distorsion du temps, où soudainement l’invisible se perçoit, l’insaisissable se capture et l’improbable se réalise de façon surprenante. Un souffle furtif l’inspire et insuffle d’étonnantes transformations tant au niveau des œuvres qu’à celui de l’espace qui les accueille. L’artiste investit la galerie avec un ensemble inédit d’installations, de sculptures et de tableaux dans lesquels il explore les possibles de la matière afin d’y trouver de nouvelles forces en présence. Les matériaux sont ainsi du plus noble comme le marbre au plus commun comme le béton, utilisés pour traduire un territoire de l’imperceptible. L’air y est la proie ; permanent et omniprésent, il demeure a priori insaisissable. L’artiste met alors en place divers stratagèmes des apparences, comme autant de révélateurs de cette réalité invisible. Il ne se fait pas pour autant scientifique, ni même botaniste. Il tend plutôt à se créer le personnage d’un géologue de fiction, expérimentant le réel, usant d’un certain nombre de techniques pour trouver des indices à la vérité qu’il s’est lui-même constituée. Il cultive un jardin de formes parsemé de fabriques, d’objets artisanaux étant aussi bien des attributs de la friche industrielle que ceux du terrain vague. Roche, cire, fer à béton traduisent cet univers délaissé tout en proposant de nouvelles métamorphoses. Nous sommes invités à traverser un espace où l’entropie n’est plus seulement un chaos, mais devient un faux terrain, une zone indéterminée dans laquelle prennent naissance des volumes. Il s’agit peut-être de suivre Gilgamesh – héros sumérien ancestral auteur du premier récit de notre Histoire – et de parcourir en son souvenir un jardin de pierreries imaginaire, de fantasmer une telle épopée afin de prendre conscience de la condition humaine. Les œuvres de Jean-Baptiste Caron invitent le regardeur à réfléchir sur la notion de temps, le sien et celui du monde dans lequel il évolue. Ainsi la fonte de fer employée par l’artiste afin de figer pour l’éternité un souffle d’air humain, n’est-il pas paradoxalement annonciateur d’un état mortel propre à notre existence. Cependant si la chute adamique reste inéluctable, l’artiste évite toute représentation vaniteuse préférant mettre en scène une « danse de la vie humaine » dans l’écho implicite de la peinture éponyme (1640) de Nicolas Poussin. Ce mouvement n’est donc pas celui qui marque un terme, mais plutôt celui qui annonce une diversité de possibilités. L’artiste montre en ce sens le potentiel de destruction, mais aussi et surtout de construction et de transformation propre à chaque être. Il dresse un jardin paradoxalement en ruine et en émergence, en attente, presque en hibernation et pourtant animé par un souffle perturbateur. Ce dernier, bruit à nos oreilles, caresse notre visage et étonne notre regard au moment où nous découvrons les formes qu’il a produites guidé par l’artiste. Il finit par modifier subtilement notre perception visuelle et haptique de l’espace d’exposition. La galerie se transforme avec « Jardin d’hiver » en un espace hétérotopique, l’espace d’une utopie localisable et de stratégies identifiables. Michel Foucault y entendait un territoire qui dans le réel nous inviterait à l’élaboration par la pensée d’un monde nouveau. Celui-ci resterait irréalisable et pourtant deviendrait un refuge inspirant et éveillant l’imaginaire. Cette hétérotopie s’inscrit donc comme un lieu fertile, virtuel et réel. Nul jardin, nulle végétation ne viendront recouvrir la galerie. Nous proposons plutôt aux visiteurs de l’imaginer entre les œuvres et à travers elles, comme une forme possible, « comme un tapis où le monde tout entier vient s’accomplir » tel que le désignait Foucault. Pour lui, ce « tapis était un jardin mobile à travers l’espace ». Le jardin reste ici une forme en mouvement, car inspiré par le parcours et les sensations mêmes du regardeur. L’exposition pourrait être simplement l’écho d’une serre délaissée, offerte à l’hiver. Cette ruine n’est cependant qu’une stratégie des apparences, offrant des indices pour entrevoir l’air et son absence.

 

Thomas Fort

EN

Jardin d’hiver, Jean-Baptiste Caron’s new exhibition at the gallery 22,48 m², sounds like a time of latency and distortion, where the invisible can suddenly be seen, the elusive can be captured and the improbable can unexpectedly happen. A furtive breath inspires the artist and breathes amazing transformations both in the works as the space that welcomes them. Jean-Baptiste Caron invests the gallery with an original set of installations, sculptures and paintings in which he explores the potential of the material in order to find new involved forces. The materials are of the most noble as marble to commoner such as concrete, used to translate a territory of the imperceptible. The air is the prey; permanent and pervasive, it remains a priori elusive. The artist sets up various stratagems based on appearances, evoking this invisible reality. The artist doesn’t necessarily play the role of a scientist or botanist. Rather, he appears as a fictional geologist, experiencing the real, using different techniques to find clues to the truth that he established himself. He cultivates a garden of shapes covered with factories and handicrafts, like a brownfield site or wasteland attributes. Rock, wax, iron and concrete translate this abandoned world while offering new metamorphoses. We are invited to pass through a space where entropy is no longer just a chaos, but becomes a fake field, an indefinite area in which originate volumes emerge to life. The purpose is perhaps to follow Gilgamesh – ancient Sumerian hero, author of the first story of our History – and to browse in his memory in an imaginary garden of precious stones, to fantasizing such epic to raise awareness of the human condition. Jean-Baptiste Caron’s works invite the viewer to reflect on the concept of time, his own and that of the world in which it operates. The cast iron used by the artist in order to freeze forever a human breath of air, can be seen as a clean mortal condition to our human determination. If the adamic fall remains inevitable, the artist avoids any representation and prefer to produce a « dance of life » in the implicit echo of the eponymous painting (1640) by Nicolas Poussin. This movement is not one that marks an end, but rather one which announces a variety of possibilities. The artist shows in that sense the destructive potential, but especially the potential of construction and transformation, specific to each entity. Jean-Baptiste Caron stands a ruined garden, and paradoxically under construction, a « pending place », almost in hibernation and yet animated by a disruptive breath. The latter, rustles in our ears, caress our faces and amazes our eyes when we discover the forms it produced, guided by the artist. He subtly changes our visual and haptic perception of the exhibition space.
The gallery is transformed with « Jardin d’hiver » into a heterotopic space, the space of a localizable utopia and identifiable strategies. Michel Foucault spoke of a territory that in reality invited us to the development by the thought of a new world. It would remain unachievable, and yet, it would become an inspiring refuge, awakening the imagination. This heterotopia is therefore as a breeding place, virtual and real. No garden and no vegetation will cover the gallery. Rather, we propose visitors to imagine it between the works and through them, as a possible form, « like a carpet where the whole world comes to be accomplished » as Foucault pointed out. The garden remains here a shape in motion because it’s based on the course and the feelings of the viewer. The exhibition could just be an echo of an abandoned greenhouse, offered in the winter. This ruin is however a strategy of appearances, offering clues to glimpse the air and its absence.

 

Thomas Fort